Du 6 au 11 septembre, une quarantaine de marchands du monde entier convergent
à Saint-Germain-des-Prés pour célébrer la 21 e édition du Parcours des mondes.
Et le grand retour de Paris comme capitale internationale des arts premiers.
La fine fleur de l’art tribal s’y est donnée rendez-vous.
Car il semblerait que le Parcours des mondes mérite plus que
jamais son épithète de « plus grand salon international des arts
extra-européens au monde ». Rare manifestation à avoir résisté
aux annulations en cascade qui ont frappé toutes les foires au
cours des deux années pandémiques, le Parcours des mondes
célébrait l’an passé son 20 e anniversaire. Malgré l’absence des
principaux acheteurs américains et asiatiques bloqués aux
frontières, cette continuité a permis de maintenir le lien entre
collectionneurs, galeries et visiteurs, du moins européens.
L’édition 2022 l’illustre. Des marchands du monde entier
reviennent en force pour s’installer, le temps des festivités,
dans les galeries de leurs confrères parisiens installés à
demeure dans le quartier des Beaux-Arts de Saint-Germain-
des-Prés. Ils y dévoilent leurs chefs-d’œuvre des arts
d’Afrique et d’Océanie, leurs pièces d’apparat asiatiques ou
encore leurs raretés archéologiques, mais aussi des objets
ethnographiques usuels plus accessibles aux bourses
modestes : certains marchands y réalisent en une
semaine près de 75 % de leur chiffre d’affaires annuel.
L’attractivité de Paris
Surtout, les grands marchands et collectionneurs
américains font leur retour, parmi lesquels la galerie
Pace African & Oceanic Art [voir encadré p.17]
et Michael Hamson [voir p.50]. D’ailleurs, c’est un
Américain qui assure la présidence d’honneur de ce
21 e Parcours : le collectionneur Sam Singer [voir p.20].
« J’espère être un ambassadeur pour le Parcours des
mondes et les arts premiers et initier davantage de
gens à la puissance, l’élégance, l’intégrité ́ et la vie qui
émanent des arts tribaux », déclare ce passionné.
— Carine Claude
« Ces dernières années, Paris s’est
clairement imposée comme le leader
mondial des arts premiers, affirme
Yves-Bernard Debie, directeur par
intérim du Parcours des mondes
[voir encadré p.22]. Elle doit cette
place, d’une part, au musée du quai
Branly – Jacques Chirac qui, au-delà
de ses collections permanentes,
démontre qu’il est un musée vivant
capable de proposer des expositions
passionnantes qui attirent un très large
public ; d’autre part, à la vivacité de son
marché de l’art et enfin, j’ai la faiblesse
de le croire, au Parcours des mondes. »
La dynamique des ventes aux
enchères, des expositions d’envergure
comme actuellement « Pouvoir et
Prestige » au musée du Quai Branly
[voir p.58], la multiplication de foires
ouvertes aux formes plus
contemporaines des arts d’Afrique
et d’Asie et la reconfiguration des
grands événements rythmant le
calendrier du marché de l’art tels que
Fine Art & La Biennale ou Paris + pour
ne citer qu’eux... Autant de signaux
précurseurs qui semblaient annoncer
le retour de la place parisienne comme épicentre de l’art tribal.
L’attractivité de Paris a fait le reste.
Mais 2021 restera dans les mémoires
comme une année d’exception pour
l’art tribal en France. Un grand cru
diront certains, un épiphénomène
pour d’autres. Qu’importe.
L’électrochoc de la vente Périnet reste
dans les esprits. Cette dispersion d’art
africain et océanien savamment
orchestrée par Christie’s en juin 2021 a
totalisé 66,1 M€ d’adjudications et
pulvérisé toute une série de records,
propulsant d’un coup Paris et
Christie’s en tête de classement du
marché de l’art tribal mondial
[voir p.30]. « Il est évident que la vente
Périnet a tiré tout le marché vers le
haut, constate M e Debie. Cette vente
de tous les records doit son succès à
la qualité de la collection dispersée et
au talent déployé par la maison de
ventes qui en avait la charge, à son
excellent marteau et aux trois experts
sans lesquels elle n’aurait pas eu lieu. »
Portes ouvertes
Le Parcours des mondes doit
également sa renommée aux
expositions thématiques proposées
par les marchands pendant la durée
de l’événement. Un cadre intimiste et
plutôt original pour les visiteurs qui
déambulent librement d’un lieu à
l’autre. Et aussi une manière de les
inciter à pousser la porte des galeries
une fois l’événement passé. Gardant
de côté leurs chefs-d’œuvre, souvent
plusieurs années à l’avance pour les
présenter pendant le Parcours des
mondes, les galeristes brassent large
au niveau des thématiques, que ce
soit la mise en lumière d’un peuple,
d’une région, d’un type d’objet
ou d’un savoir-faire. Fruits de leur
réflexion scientifique, ces projets
de longue haleine donnent lieu
à des publications inédites qui sont
dévoilées spécialement pendant
l’événement [voir p.30]. Car quelque
part, le Parcours des mondes un
peu le salon du livre de l’art tribal.
Cette année, près d’une vingtaine
d’expositions thématiques sont
programmées, soit deux fois plus
qu’en 2021. Il faut dire que motivés
par l’attractivité retrouvée de la place
parisienne, de nombreux marchands
auront mis des bouchées doubles
PARCOURS DES MONDES
pour renouer avec leur public,
laissant le spectre de deux années de
contraintes pandémiques derrière eux.
Regards croisés
Dans la continuité de l’esprit des
grands modernistes du XX e siècle,
le succès des expositions faisant
dialoguer art occidental et art
classique d’Afrique ne se dément
pas. « Pour cette édition, impossible
de ne pas évoquer l’extraordinaire
exposition Résonance : Jean-Michel
Basquiat et l’univers Kongo qui se
tient à la galerie Gradiva, si chère
à André Breton, » s’enthousiasme
M e Debie. Bernard Dulon, co-
commissaire de cet événement
phare du Parcours des mondes 2022,
s’interroge : « Que se passera-t-il
lorsque des œuvres d’art d’une
telle puissance que des dessins de
Jean-Michel Basquiat et des Nkissi,
anonymes créations du monde
Kongo, seront confrontés lors d’une
même exposition ? » Le public sera
le premier à réagir à cette question.
Ces dernières années, le regard croisé
entre arts contemporains africains
et arts anciens du continent attire
lui aussi de plus en plus de visiteurs.
Pour sa première participation au
Parcours des mondes, le marchand
belge Bruno Claessens a relevé le
pari. Sa galerie Duende Art Projects
présente « Beaux Rêves », une
exposition rassemblant des repose-
têtes sud-africains Tsonga, Shona
et Swazi du XIX e siècle et des œuvres
contemporaines abstraites de trois
artistes Ndebele contemporaines :
Franzina Ndimande, Angelina
Ndimande et Anna Mahlangu.
« Plusieurs correspondances et liens
peuvent être découverts entre ces
œuvres anciennes et ces peintures
Ndebele contemporaines, dit Bruno
Claessens. Sans surprise, les
compositions picturales se révèlent
très architecturées, elles étaient
originellement peintes sur les murs
des maisons. Cependant, les repose-
têtes ont également une composition
très structurée, la base et la partie
supportant la tête étant reliées par
de multiples éléments finement
AMA · 338 · 6 septembre 2022
dessinés. » Chez Lucas Ratton,
« Amuin » décline le thème du singe
Baoulé en mêlant lui aussi œuvres
d’art anciennes et contemporaines,
tel le tableau de Stephane Grafff,
Thoth and Bowl Bearer (2022), tandis
que la galerie Vallois 35 expose
le travail de l’artiste et designer
Kossi Aguessy (1977-2017) dont
les créations ont été présentées
au Museum of Arts and Design de
New York, au Guggenheim de Bilbao
et au centre Pompidou. À noter que
Vallois 35 présente également des
aloalos d’artistes contemporains
malgaches en soutien à l’association
AZÉ qui vient en aide à l’enfance
démunie et fragilisée de Tuléar,
dans le sud-ouest de Madagascar.
D’autres marchands choisissent de
présenter sobrement leurs récentes
acquisitions. On découvre celles de
Voyageurs & Curieux au 2 rue Visconti
qui organise par ailleurs l’exposition
« Du Lac Sentani au village d’Aitape »
au 20 rue Mazarine.
Revisiter ses classiques
Les décennies passent, mais les
masques africains exercent toujours
le même pouvoir de fascination.
« Masques Gèlèdè, Chroniques de la
vie quotidienne au Bénin » à la galerie
Vallois 41 revient sur les fondements
de la société Yoruba, initialement
matriarcale, avant que les hommes
ne s’emparent du pouvoir politique
au XVIII e siècle, laissant aux femmes
le pouvoir spirituel. Toujours côté
masques, Abla et Alain Lecomte
présentent un ensemble rare et
étonnant de 35 masques Sowei
de la société Bundu, du peuple
Sande de Sierra Leone [voir p.52].
« Il s’agit, à notre connaissance,
de l’unique société secrète occupée
et dirigée par des femmes en Afrique
subsaharienne, explique le couple
de galeristes. Ces masques heaumes
étaient portés par des femmes
à l’occasion des rites d’initiation,
afin de préparer les jeunes filles
à leur vie future, ce rituel secret
se déroulait en grande partie en
brousse et devait durer plusieurs
semaines, voire des mois. »
La séduction guerrière des armes
du Pacifique a le vent en poupe et
l’exposition « Pouvoir et prestige »
du musée du quai Branly n’y est
sans doute pas étrangère [voir p.58].
Plusieurs marchands y dédient cette
année leur exposition du Parcours
des mondes. Pablo Touchaleaume
présente son choix d’armes et de
massues d’Océanie en particulier
Kanak dont une étonnante massue
à bec d’oiseau du XIX e siècle. Franck
Marcelin explore la niche de la niche
avec ses boucliers de guerre de
Papouasie, notamment un bouclier
Iwan du Sépik supérieur au pedigree
impeccable puisqu’il a appartenu
à Julius Carlebach et faisait partie
de la JOLIKA collection de Marcia et
John Friede. En parallèle, le galeriste
consacre une autre exposition à
d’étonnants pilons sculptés venant
là aussi de Papouasie. Enfin, toujours
dans un registre martial mais
poétique, Anthony Meyer revisite
l’une de ses expositions à grand
succès avec « Casse-tête II » plus
de vingt ans après son premier
opus en 1989 [voir p.60].
Explorer, encore et toujours
Au 8 de la rue des Beaux-Arts,
la galerie Flak inaugure « Iconique »,
un panorama large des arts anciens
d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique
du Nord. Cette exposition « qui
mettra en lumière des œuvres
illustrant le génie humain au travers
d’archétypes de figures et masques
rituels anciens » selon son directeur
Julien Flak présente une effigie
Baoulé de Côte d’Ivoire, une figure de
guérison Tshokwe « à la saisissante
construction cubiste », un éventail
de prestige des Îles Marquises,
un ensemble d’œuvres de Papouasie-
Nouvelle-Guinée, des objets anciens
d’Amérique du Nord et une collection
inédite de poupées Kachina des
Indiens Hopi d’Arizona. Direction
Bornéo avec « Austronesia In Pursuit
of the Origins » de Martin Doustar
qui dévoile ici de très rares sculptures
archaïques en bois considérées
comme faisant partie des plusanciennes statuaires fabriquées
dans ce matériau — certaines
remonteraient à plus de 4.000 ans
selon le galeriste.
La déambulation continue à la
Bouquinerie de l’Institut où Adrian
Schlag dévoile « Fragments of Time »,
tandis que Jo De Buck réunit des
objets du royaume Kuba pour
l’exposition « Kuba Mythique »,
exposition accompagnée d’un
ouvrage intitulé Kuba Art, The Beauty
of the Myth publié pour l’occasion.
En faisant le grand écart entre Asie
et Afrique, Alain Bovis et Véronique
du Lac présentent « Tribal, Afrique
et Népal », « une exposition toute
en contrastes mêlant arts africains
et népalais, une confrontation
d’objets de caractère ». Enfin,
« Ancêtres et Avenirs » de Fernando
Pujol réserve la surprise avec son
affiche représentant une figure
d’ancêtre Malangan de Nouvelle-
Irlande et un casque de la Nasa.
Nul doute qu’au fil des ans, ces
« surprises » ont fait le sel de cette
manifestation décidément pas
comme les autres.
Carlo Bella est le directeur de la galerie Pace African & Oceanic Art.
Pourriez-vous nous présenter votre galerie ?
Dès sa création en 1971 à New York, Pace African & Oceanic Art s’est engagée
pour la reconnaissance de la valeur artistique, la pertinence culturelle et le rôle
fondamental que l’art ancien et traditionnel d’Afrique et d’Océanie a joué dans
le développement de l’art moderne et surréaliste. Parmi la poignée de galeries
américaines spécialisées dans l’art africain classique, Pace African & Oceanic
Art s’est battue pour présenter la sculpture de ces grands artistes anonymes sur
un pied d’égalité avec l’art et les artistes occidentaux [Pace African & Oceanic
Art est affiliée à la célèbre galerie d’art contemporain Pace, NDLR].
Pace African & Oceanic Art a monté des expositions révolutionnaires et publié
des ouvrages érudits tels que African Accumulative Sculpture (1974), African
Spirit Images and Identities (1976), Yoruba : Sculpture of West Africa (1982)
ou encore Masks of the Himalayas (1990). Parallèlement à ces publications,
nous avons organisé des expositions chaque année, publié des catalogues
de notre fonds et participé à des foires d’art internationales et américaines
ainsi qu’à des expositions dans des musées.
2021 a été une année record pour le marché de l’art tribal. Comment expliquez-
vous ce succès ?
La visibilité accrue apportée par les ventes aux enchères, les prix records
et les grandes expositions dans les musées suscitent un intérêt plus large
et élargissent de manière exponentielle la clientèle [voir p.30].
Quelles œuvres avez-vous sélectionnées pour le Parcours des mondes ?
La pandémie ayant fortement limité les voyages et les foires, nous avons
décidé que le Parcours des mondes 2022 serait une excellente occasion de
renouer avec nos clients, amis, collègues et universitaires dans ce magnifique
contexte parisien. En raison du cadre européen de l’événement, le point
d’orgue de notre exposition sera un ensemble de sculptures africaines
de haute qualité provenant de collections américaines.
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